" …
Un jour je trouverai un pays où je me poserai à jamais. Je n’aurai plus
besoin, l’automne arrivant, de quitter mon nid, de m’envoler, de
rejoindre mes semblables et de changer d’horizon, de climat, puis de
revenir au printemps … "
Ce
rêve revenait de plus en plus fréquemment dans l’imaginaire d’une
hirondelle et il laissait chaque fois en elle une trace d’amertume, de
regret et même de tristesse.
Et voilà qu’une année, mais cela se préparait depuis quelques décennies, les températures se stabilisèrent.
Les
saisons se fondirent l’une dans l’autre, il n’y avait plus ni hiver ni
été, ni printemps ni automne, mais un climat plutôt fade, grisouillou
même quand il faisait soleil, inodore et sans saveur, sans gel
scintillant ni canicule ardente, sans floraison étincelante ni vendange
de couleurs.
Dans un premier temps l’hirondelle se réjouit.
"
Ah ! je vais pouvoir garder mon nid, le consolider, l’aménager
différemment, je pourrai aussi poursuivre mes activités habituelles,
rencontrer les mêmes amis ou même apprendre à nager … faire de
l’aquarelle … "
Bref,
cette hirondelle faisait provision de projets et, comme la température
restait clémente, elle commença à en réaliser quelques-uns.
Les
jours ressemblant les uns aux autres, l’hiver passa très vite, le
printemps revint. Et avec lui, comme elles le faisaient depuis toujours
de mémoire d’hirondelles, les autres hirondelles qui avaient tout de
même migré vers des pays plus chauds et gardés le goût des voyages
revinrent aussi.
L’été
passa, l’automne revint à son tour, et notre hirondelle se réjouit à
nouveau de pouvoir rester sur place, de ne pas avoir à faire ce long
voyage fatigant dans le ciel, vers les pays qui restent ensoleillés en
hiver.
Mais,
cette année-là, notre hirondelle prit moins de plaisir à rester dans
son nid, à voleter sur le même territoire de ciel et d’espace qui était
le sien.
Elle
commença même à s’ennuyer, à trouver son nid monotone, ses voisins un
peu fades, peu toniques. Mais ce qui lui manquait le plus, c’était de
rêver.
Depuis
qu’elle avait cessé de voyager, elle ne rêvait plus. Et peut-être ne le
savez-vous pas encore, mais une hirondelle qui ne rêve plus est
semblable à une hirondelle sans ailes.
Oh
! rassurez-vous ! des ailes elle en avait, mais c’était des ailes sans
énergie, des ailes anesthésiées qui lui permettait de voleter de-ci,
de-là, de tenter quelques arabesques dans le ciel, de plonger vive
comme l’éclair sur quelques moustiques, mais qui ne lui permettaient
plus de s’élancer vers l’horizon de l’azur pour de longs voyages.
Elle
vaquait à ses occupations d’hirondelle, mais le cœur n’y était plus.
Elle possédait pourtant tout ce qu’elle avait désiré pendant de longues
années, sans pour autant se sentir heureuse.
Un
matin elle reconnut le long de son bec, autour de son plumage, ce qui
lui manquait le plus, le goût de la mer et le bruit du vent qui
l’accompagnaient dans les grands voyages du passé,
Quand l’automne revint, notre hirondelle, quitta sa maison, décida de se joindre au grand voyage.
Elle savait que ce serait le dernier pour elle et elle voulait encore sentir le sel de la mer et entendre le bruit du vent.
Elle
voulait encore une fois se fondre dans le grand flot constitué par des
milliers d’ailes et de corps semblables au sien, suspendus au-dessus
des mers et des continents, dans un même élan de vie et de
reconnaissances mutuelles.
Jacques Salomé